mardi 24 mars 2009

Chez l'antiquaire

~ Billet 76 ~                       Pour les Parchemins de bigornette

Elle écarquille, incrédule, ses yeux devant la vitrine.
Sur la gauche, un phonographe avec son aiguille et son pavillon élégant. A l'avant, ces partitions à « trois francs six sous » avec musique et paroles des succès des années  cinquante, déployées en éventail.
Sur le côté, en retrait, une épinette* sans doute hors d'âge, hors de prix, probablement désaccordée, mais tellement gracieuse sur ses pieds galbés trop chétifs et ses semis de fleurs peintes sur la laque crème craquelée.
Et au milieu de cette joyeuse pagaille savamment organisée, chez cet antiquaire spécialisé du quartier de l'Opéra, il est là, trônant tel un trophée ! Avec une étiquette « Réservé ».
Une moue de dépit !
Double dépit : cet objet perdu depuis si longtemps et désormais inaccessible.
Dix ans en arrière, paralysée par la timidité et la rage, elle aurait sans aucun doute passé son chemin, les larmes troublant sa vue.
Aujourd'hui, la colère a abdiqué, elle pousse la porte dont le grelot tinte comme un carillon d'orchestre.
Le maître des lieux est occupé avec un familier, un vieillard aux blancs cheveux et aux doigts de pianiste.
Elle reste un moment dans le rai de lumière. Un hum ! Leurs regards l'évaluent.
Pas le vêtement d'un acheteur potentiel ! Tout est rare ici. D'exception, onéreux.
- Vous souhaitez voir quelque chose en particulier ?
- Oui, ce coffret beige ...
- Il est réservé, Madame,
- J'ai vu le carton mais cet objet m'est familier. Je voudrais juste le toucher !
- c'est que ... il est en excellent état et le contenu en est fragile.

Le vieux monsieur invite son ami à le lui montrer.
L'antiquaire le pose sur un plan de chêne ciré, au fond de la boutique.
Son cœur cogne, ses doigts la brûlent. Leur tremblement se voit-il ?
Elle caresse délicatement le grain toilé du couvercle entre beige et gris, son doigt suit le tracé des lettres à la dorure oxydée, des lettres en alphabet cyrillique.
Dans l'angle gauche à l'intérieur, son nom y figure, au crayon bille noir, même pas biffé.
Les pochettes de papier sont jaunies, elle commence à faire glisser ...
- d'un geste, il l'interrompt : c'est fragile, je vous ai dit.
-oui, mais pas en parfait état, le quatrième ou le cinquième était rayé, ...
Sur les titres du centre, les gommettes à ses initiales F D.
- Ce doit être le quatrième, tenez, regardez là cette strie, l'aiguille sautait toujours à cet endroit dès l'origine !

Les deux compères se regardent de connivence.
- Aucun doute, vous êtes la personne que nous attendions.
- Mais ...
- Mon ami en est le vendeur, mais il y a mis une condition ...
- C'est possible, cela ?
L'homme aux mains de pianiste a dit doucement, oui, les objets ont une âme vous savez. Celui-ci vous a appartenu et il vous revient.

Il a délicatement refermé le coffret de l'intégrale des symphonies de Vladimir Chostakovitch par l'orchestre philharmonique de Moscou dirigé par Kondrachine qu'elle avait ramené d'un voyage.
Il le lui tend avec un grand sourire tandis qu'elle regarde, incrédule
- Prenez, je vous dis, ce carton était mis pour vous.

Fado chant de la terre portugaise, la musique russe en fil rouge dans celle de Chostakovitch avec le bruit et la fureur.
Trait d'union des musiques, ...
Si comme si les rêves se réalisaient...

Inutile de vous dire que si j'ai bien ramené ce coffret de Bulgarie, si je l'ai bien perdu comme il en est souvent des objets prêtés trop longtemps, l'histoire qui précède est totalement imaginaire.

* L'Épinette (ou espinette) est un instrument de musique à cordes pincées et à clavier de la famille des clavecins. L'épinette est un clavecin dont les cordes sont obliques par rapport à la touche du clavier. La corde est pincée avec une plume.
L'épinette était très répandue en même temps que le clavecin en Europe de la fin du XVe jusqu'au XVIIIe siècle. Le terme clavecin ou épinette était utilisé indifféremment. Dans les textes anciens il n'y a pas d'usage strict, le terme épinette désigne en France le clavecin jusqu'au XVIIIe siècle. En Flandres, au XVIIe siècle, un virginal se nommait épinette.
Le terme épinette vient de la France méridionale et l'Italie. La terminaison en "ette" ne serait pas un diminutif mais une francisation de l'italien Spinetta.
Actuellement, l'épinette désigne un instrument plus petit que le clavecin.
  Source wikipédia


Quelques liens pour en savoir plus :
L'article Chostakovitch de
 wikipédia

Kondrachine et sur sa discographie concernant ChostakovitchLe site de l'association internationale Dimitri Chostakovitch


le site Réfmusicologie que j'avais cité contenait deux liens défectueux.
Par prudence, j'ai préféré en supprimer le lien