jeudi 27 décembre 2012

L'hymne de la Volupté, de Jean de La Fontaine

1er jeudi en poésie des CROQUEURS DE MOTS,
avec votre Jeanne Fadosi à la manoeuvre pour Tricôtine
sur la mer de la fin d'année 2012 pour le défi n°93,
et en variation de tous les âges de la vie, en dénominateur commun ...

Vous connaissez ses fables, sans doute ses autres textes sont moins connus et pourtant ...

Hymne de la volupté

Ô douce volupté, sans qui, dès notre enfance,
Le vivre et le mourir nous deviendraient égaux ;
Aimant universel de tous les animaux,
Que tu sais attirer avecque violence !
Par toi tout se meut ici-bas.
C'est pour toi, c'est pour tes appas,
Que nous courons après la peine ;
Il n'est soldat, ni capitaine,
Ni ministre d'Etat, ni prince, ni sujet,
Qui ne t'ait pour unique objet.
Nous autres nourrissons, si, pour fruit de nos veilles,
Un bruit délicieux ne charmait nos oreilles,
Si nous ne nous sentions chatouillés par ce son,
Ferions-nous un mot de chanson ?
Ce qu'on appelle gloire en termes magnifiques,
Ce qui servait de prix dans les Jeux Olympiques,
N'est que toi proprement, divine Volupté.
Et le plaisir des sens n'est-il de rien compté ?
Pour quoi sont faits les dons de Flore,
Le soleil couchant et l'Aurore,
Pomone et ses mets délicats,
Bacchus, l'âme des bons repas,
Les forêts, les eaux, les prairies,
Mères des douces rêveries ?
Pour quoi tant de beaux arts, qui tous sont tes enfants ?
Mais pour quoi les chloris aux appas triomphants,
Que pour maintenir ton commerce ?
J'entends innocemment : sur son propre désir
Quelque rigueur que l'on exerce,
Encore y prend-on du plaisir.

Volupté, Volupté, qui fut jadis maîtresse
Du plus bel esprit de la Grèce,
Ne me dédaigne pas, viens-t-en loger chez moi ;
J'aime le jeu, l'amour, les livres, la musique,
La ville et la campagne, enfin tout ; il n'est rien
Qui ne me soit souverain bien,
Jusqu'au sombre plaisir d'un coeur mélancolique.
Viens donc ; et de ce bien,ô douce Volupté,
Veux-tu savoir au vrai la mesure certaine ?
Il m'en faut tout au moins un siècle bien compté ;
Car trente ans, ce n'est pas la peine.
.......        ....Jean de La Fontaine, L'hymne de la Volupté, 
                    Les Amours de Psyché et de Cupidon, 1669

Jean de La Fontaine, 1621 - 1695