jeudi 4 octobre 2012

Complainte d'un autre dimanche, de Jules Laforgue

En marge du jeudi en poésie, je continue à égrainer mon Alphabet en poésie,
samedi avec la lettre T, aujourd'hui avec U, dans deux ou trois jours avec V.

Déjà le premier jeudi en poésie du défi n°87 des CROQUEURS DE MOTS, sous le signe des dimanches.
C'est Lilou-fredotte qui a choisi le cap de la prochaine étape et confie la barre au pilotage automatique. Tricôtine, qui a supervisé la manoeuvre, nous en a averti ... Qu'elle ne se fasse pas de souci pour le quart. Nous sommes nombreux sur le pont, même en dilettantes.

Complainte d'un autre dimanche

C'était un très-au vent d'octobre paysage, 
Que découpe, aujourd'hui dimanche, la fenêtre, 
Avec sa jalousie en travers, hors d'usage, 
Où sèche, depuis quand ! une paire de guêtres 
Tachant de deux mals blancs ce glabre paysage.

Un couchant mal bâti suppurant du livide ; 
Le coin d'une buanderie aux tuiles sales ; 
En plein, le Val-de-Grâce, comme un qui préside ; 
Cinq arbres en proie à de mesquines rafales 
Qui marbrent ce ciel crû de bandages livides.

Puis les squelettes de glycines aux ficelles, 
En proie à des rafales encor plus mesquines ! 
O lendemains de noce ! Ô bribes de dentelles ! 
Montrent-elles assez la corde, ces glycines 
Recroquevillant leur agonie aux ficelles !

Ah ! qu'est-ce que je fais ici, dans cette chambre ! 
Des vers. Et puis, après ? Ô sordide limace ! 
Quoi ! La vie est unique, et toi, sous ce scaphandre, 
Tu te racontes sans fin, et tu te ressasses ! 
Seras-tu donc toujours un qui garde la chambre ?

Ce fut un bien au vent d'octobre paysage...

Jules Laforgue, Les complaintes, 1885

Jules Laforgue, 1860 - 1887, poète français, né en Uruguay, décédé de la phtisie (ancien nom de la tuberculose pulmonaire) à 27 ans. Il a été de 1880 à 1886 le lecteur en français de l'impératrice d'Allemagne
 un site très complet qui est dédié au poète : Laforgue.org
et pour les curieux, un commentaire de ce texte sur lettres et arts.net
J'aurais pu aussi choisir du même Complainte d'un certain dimanche, pour la manière dont il y mêle sa peine égoïste au malaise universel.