Le nez
Ô noble nez, organe odoratif,
Du corps humain membre décoratif,
Te blasonner je ne saurais me taire,
Car sur tous membres es le plus nécessaire :
Pour ce, t'es dû degré superlatif ;
A te louer on dût t'être inventif,
Car en toi gît le miroir de nature
Le los(3), le prix d'humaine pourtraiture,
L'aornement du corps réparatif.
Ton excellence, ta grand' beauté, ta grâce,
T'ont fait loger au milieu de la face ;
Bien t'appartient en lieu tant authentique,
Car ta présence rend la face angélique :
C'est par toi seul que la face reluit,
C'est par toi, Nez, qu'elle a louange et bruit
Par tout le monde, et qu'elle est si plaisante,
A tant chacun tant délectable et gente.
Ô noble nez, seul et souverain bien
Du corps humain, tant que sans toi n'est rien,
Ains(4) est déforme, hideux, épouvantable,
Et cinq cents fois plus qu'un monstre exécrable,
Nez ennemi d'infect puanteur,
Grand adversaire de mauvaise senteur,
Rien ne te plait qui ne soit redolent(5),
Tant es gentil, délicat, excellent ;
Nez, douce entrée d'amoureuse pointure,
Nez, des amants la vraye nourriture,
Ô Nez bien fait, Nez reconsolatif,
Nez mignonnet, ô Nez récréatif,
Nez singulier, plaisant et gracieux,
Nez condescent, ô trésor précieux,
Nez , jugement de bon et mauvais vin,
Nez, argument du grand pouvoir divin ;
Ô Nez, vrai juge d'imparfait et parfait !
Conclusion : Nez, sans faire grand plaid,
Sur tous membres guidon et capitaine,
De toi seul prend toute beauté mondaine.
J. N. d'Arles(2), contribution aux blasons anatomiques du corps féminin(1)
(1) Les blasons sont nés à l'initiative de Clément Marot qui a lancé un concours lors d'un exil à Ferrare. Succès immédiat qui a donné lieu à un recueil constamment réédité et enrichi de 1536 à 1554.
Ces blasons, d'une grande liberté de ton, conforme en cela à l'esprit de ce temps, beaucoup moins prude que le nôtre, sont le contre-point des textes de Pernette du Guillet et de Louise Labbé qui subliment, chacune selon sa sensibilité, les relations entre les sexes.
(2) J. N. d'Arles ou Darle. Nous ne savons rien de plus de ce poète qui a peut-être usé d'un pseudonyme (Eh oui, on a pas attendu Internet pour les pseudos)
(3) los : louange
(4) ains : mais
(5) redolent : de bonne odeur
La mort de cléopâtre par Guido Reni, 1630, source Wikipedia
Selon Blaise Pascal,
" le nez de Cléopâtre, s'il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé. "