jeudi 14 novembre 2013

Au café, de Charles Cros

Puisque Eglantine-Lilas, dans le Défi n°111 des CROQUEURS DE MOTS, nous invite à faire causer les chaises d'un bistro, voici ce poème de Charles Cros (oui celui de l'Académie du même nom car elle a été créée en son honneur).

Au café.

Le rêve est de ne pas dîner, 
Mais boire, causer, badiner 
Quand la nuit tombe ; 
Épuisant les apéritifs, 
On rit des cyprès et des ifs 
Ombrant la tombe.

Et chacun a toujours raison 
De tout, tandis qu'à la maison 
La soupe fume, 
On oublie, en mots triomphants,
Le rire nouveau des enfants 
Qui nous parfume.

On traverse, vague semis, 
Les amis et les ennemis 
Que l'on évite. 
Il vaudrait mieux jouer aux dés, 
Car les mots sont des procédés 
Dont on meurt vite.

Ces gens du café, qui sont-ils ? 
J'ai dans les quarts d'heure subtils 
Trouvé des choses 
Que jamais ils ne comprendront. 
Et, dédaigneux, j'orne mon front 
Avec des roses.

Charles Cros*, Le collier de griffes (posthume, 1908)

* Charles Cros, (1842-1888), poète et inventeur français

Vincent Van Gogh, terrasse de café la nuit, 1888