Marquise
Marquise, si mon visage 
A quelques traits un peu vieux, 
Souvenez-vous qu'à mon âge 
Vous ne vaudrez guère mieux. 
Le temps aux plus belles choses 
Se plaît à faire un affront, 
Et saura faner vos roses 
Comme il a ridé mon front. 
Le même cours des planètes 
Règle nos jours et nos nuits : 
On m'a vu ce que vous êtes; 
Vous serez ce que je suis. 
Cependant j'ai quelques charmes 
Qui sont assez éclatants 
Pour n'avoir pas trop d'alarmes 
De ces ravages du temps. 
Vous en avez qu'on adore, 
Mais ceux que vous méprisez 
Pourraient bien durer encore 
Quand ceux-là seront usés. 
Ils pourront sauver la gloire 
Des yeux qui me semblent doux, 
Et dans mille ans faire croire 
Ce qu'il me plaira de vous. 
Chez cette race nouvelle, 
Où j'aurai quelque crédit, 
Vous ne passerez pour belle 
Qu'autant que je l'aurai dit. 
Pensez-y, belle Marquise : 
Quoiqu'un grison fasse effroi, 
Il vaut bien qu'on le courtise, 
Quand il est fait comme moi. 
Pierre Corneille, Stances à Marquise, 
Peut-être que je serai vieille,
Répond Marquise, cependant
J'ai vingt-six ans, mon vieux Corneille,
Et je t'emmerde en attendant.
Tristan Bernard, Réponse de Marquise à Corneille
Tristan Bernard, 1866 - 1947,  romancier et dramaturge   
