lundi 24 septembre 2012

Défi n°86 : et si tout n'avait pas été dit ?

La rentrée s'installe décidément avec, ... déjà ..., le 2ème défi des CROQUEURS DE MOTS de la saison.
Notre amirâle Tricôtine a confié la barre à Hauteclaire pour le défi n°86.

On la croyait définitivement disparue. Il faut dire que les circonstances n'avaient laissé aucun doute à ce sujet.
Elles avaient vu débouler l'attaquant à une allure vertigineuse dans un grondement de tonnerre. Avec l'habitude, elles n'offraient plus aucune résistance. C'était toujours ainsi à partir de cinq heures d'un soir qui se prolongeait tard dans la nuit. Les plus chancelantes chutaient dès le premier assaut. Quelquefois un ennemi maladroit en laissait debout.
Toujours elles s'écroulaient et toujours elles se relevaient avec vaillance.
Mais cette fois, elles avaient tout de suite vu que quelque chose clochait. Elles avaient beau se compter et se recompter, il en manquait une. Mais laquelle ? Dans leur uniforme délavé, elles se ressemblaient tant !
Bien sûr, on l'avait immédiatement remplacée. Mais dans ses habits neufs, on ne voyait plus qu'elle. Et solide avec ça ! Sur les côtés ou exposée en première ligne la nouvelle restait effrontément debout.
Au tout début, elles avaient envisagé de lui faire un enterrement de première classe. L'une avait même contacté les escargots de Prévert1. Mais elle avait disparu corps et bien, littéralement atomisée, pulvérisée par l'arme fatale.
Leur vie avait repris son cours, entre fracas dérisoires et redressements sous contrainte.

Il lui semblait que le temps s'était arrêté depuis cette navrante soirée. Elle aurait bien voulu rassurer ses camarades de misère. Les délivrer de leur prison. Mais elle évoluait maintenant dans un monde parallèle et sa mission, honorable, qu'elle avait à coeur de remplir (enfin si je puis m'exprimer ainsi), lui rappelait le mythe de Sisyphe2 plus que le tonneau des Danaïdes3.
Jugez plutôt. Elle sillonnait le Monde d'armées en gangs pour leur faire comprendre ... définitivement ... que cela ne pouvait pas continuer comme cela et qu'il fallait arrêter leurs jeux de massacre.
Comme elle savait bien qu'elle ne pourrait pas convaincre les Etats Majors de s'entendre pour conclure La paix universelle, elle s'introduisait en mode furtif (facile, vu son aspect désormais) dans chaque régiment, afin de faire régner dans la tête de chaque appelé4 l'espérance de la fin prochaine de leur conscription. Elle sut aussi très vite qu'il lui fallait un allié dans sa démarche et c'est ainsi que naquit une longue et tendre complicité entre le Père Cent5 et elle.
Chaque bidasse6 faisait même une mascotte à son effigie. Enfin celle d'avant car après la bataille, je vous ai raconté qu'il ne restait plus rien d'elle.
J'ai même entendu dire tout récemment que certains la gardaient précieusement en souvenir ...
C'est d'ailleurs cette confidence7 qui m'a mis sur la piste de la quille qui avait disparu ce soir-là, au bowling de la rue sans nom.

1. A l'enterrement d'une feuille morte, de Jacques Prévert
2. Le mythe de Sisyphe, mythe antique à la base d'un livre d'Albert camus
3. Le tonneau des Danaïdes, autre légende célèbre de l'antiquité
4 un soldat était "appelé" à faire son service militaire par conscription. On disait aussi les conscrits.
5. le  "Père Cent" était fêté par les soldats 100 jours avant la fin de la conscription de leur contingent.
6. un bidasse, nom familier désignant le soldat (appelé) qui n'est pas gradé.
7. voir ce commentaire qui fait suite à cet échange, sous mon billet Alphabet en poésie : Q comme quête