jeudi 3 février 2011

Le dernier repas des martyrs, de René de Chateaubriand

Pour le jeudi en poésie des CROQUEURS DE MOTS sous la houlette de Anne lesonneur pour le défi n°48, autour des mets et du repas, voici un extrait de l'épopée deChateaubriandLes martyrs, écrit en 1809.

Cette épopée lyrique avait pour ambition de "prouver" la supériorité du christianisme sur le paganisme. Piètre démonstration dont il reconnait lui-même l'échec s'appuyant sur des sources d'historiens de son temps manquant de scrupules quant à la vérité historique, et,emporté par son imaginaire et son sens du merveilleux, ayant construit une mythologie chrétienne la situant au même niveau de fantaisie que celle qu'il voulait réfuter. Sans compter avec son inculture en matière de philsophies antiques.

Le lyrisme  de son écriture nous fait oublier que Chateaubriand n'est pas un poète en vers et le console de cette blessure, lorsque sa prose chante comme de la poésie.

Le repas libre

Il y avait à Rome un antique usage : la veille de l’exécution des criminels condamnés aux bêtes, on leur donnait à la porte de la prison un repas public appelé le repas libre. Dans ce repas on leur prodiguait toutes les délicatesses d'un somptueux festin : raffinement barbare de la loi ou brutale clémence de la religion : l'une qui voulait faire regretter la vie à ceux qui l'allaient perdre ; l'autre qui, ne considérant l'homme que dans les plaisirs, voulait au moins combler l'homme expirant.
Ce dernier repas était servi sur une table immense, dans le vestibule de la prison. Le peuple, curieux et cruel, était répandu alentour, et des soldats maintenaient l'ordre. Bientôt les martyrs sortent de leur cachot et viennent prendre leurs places autour du banquet funèbre : ils étaient tous enchaînés, mais de manière à pouvoir se servir de leurs mains. Ceux qui ne pouvaient marcher à cause de leurs blessures étaient portés par leurs frères. Eudore se traînait appuyé sur les épaules de deux évêques, et les autres confesseurs, par pitié et par respect, étendaient leurs manteaux sous ses pas. Quand il parut hors de la porte, la foule ne put s'empêcher de pousser un cri d'attendrissement, et les soldats donnèrent à leur ancien capitaine le salut aux armes. Les prisonniers se rangèrent sur les lits en face de la foule : Eudore et Cyrille occupaient le centre de la table ; les deux chefs des martyrs unissaient sur leurs fronts ce que la jeunesse et la vieillesse ont de plus beau : on eût cru voir Joseph et Jacob assis au banquet du Pharaon. Cyrille invita ses frères à distribuer au peuple ce repas fastueux, afin de le remplacer par une simple agape, composée d'un peu de pain et de vin pur : la multitude, étonnée, faisait silence ; elle écoutait avidement les paroles des confesseurs.
"Ce repas, disait Cyrille, est justement appelé le repas libre, puisqu'il nous délivre des chaînes du monde et des maux de l'humanité. Dieu n'a pas fait la mort, c'est l'homme qui l'a faite. L'homme nous donnera demain son ouvrage, et Dieu, qui est l'auteur de la vie, nous donnera la vie. Prions, mes frères, pour ce peuple : il semble aujourd'hui touché de notre destinée ; demain, il battra des mains à notre mort ; il est bien à plaindre ! Prions pour lui et pour Galerius, notre empereur."
Et les martyrs priaient pour le,peuple et pour Galérius, leur empereur.
Les païens, accoutumés à voir les criminels se réjouir follement dans l'orgie funèbre ou se lamenter sur la perte de la vie, ne revenaient pas de leur étonnement. Les plus instruits disaient : "Quelle est donc cette assemblée de Catons qui s'entretiennent paisiblement de la mort, la veille de leur sacrifice ? Ne sont-ce point des philosophes, ces hommes qu'on nous présente comme les ennemis des dieux ? Quelle majesté sur leur front ! quelle simplicité dans leurs actions et dans leur langage !"
La foule disait : "Quel est ce vieillard qui parle avec tant d'autorité et qui enseigne des choses si innocentes et si douces ? Les chrétiens prient pour nous et pour l'empereur ; ils nous plaignent, ils nous donnent leur repas ; ils sont couverts de plaies, et ils ne disent rien contre nous ni contre les juges. Leur Dieu serait-il le véritable Dieu ?"
Tels étaient les discours de la multitude. Parmi tant de malheureux idolâtres, quelques-uns se retirèrent
 saisis de frayeur, quelques autres se mirent à pleurer, et criaient : "Il est grand le Dieu des chrétiens ! Il est grand, le Dieu des martyrs !"
Ils restèrent pour se faire instruire, et ils crurent en Jésus-Christ.
René de Chateaubriand, Les martyrs, livre XXII, 1809

L'auteur situe l'Histoire au IIIème siècle, au moment où l'empire romain vit se derniers moments sous les assauts des armées franques et à la charnière de la conversion de l'empereur au christianisme.
Si l'on accepte la vision idyllique d'une religion de la paix et de la concorde, (rien n'est moins sûr), ces premiers moments, glorifiés par l'Eglise ultérieurement, occulte des futurs moins glorieux auxquels ne semble échapper aucun pouvoir, lorsque des fanatiques religieux, associés à ou manipulés par les pouvoirs temporels, se livrent à leur tour à tous les excès et à l'intolérance la plus brutale.

peinture de ma sœur Jacotte qui expose en ce moment (février 2011) au 33ème salon des arts plastiques du Mans

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