lundi 7 février 2011

Défi n°48 des CROQUEURS : autour du repas et du partage

C'est Anne Lesonneur qui est au gouvernail du défi n°48 des CROQUEURS DE MOTS autour du repas et du partage.


La pièce est si étroite qu'elle en parait longue, presque grande pour ses huit mètres carrés. Tricherie d'une perspective qui agrandit l'espace de son nid inhospitalier. Elle regarde vers le sud, par  l'unique fenêtre, les toits qui s'étalent en un camaïeu de gris et de bleus sombres d'ardoise et de zinc jusqu'au même immeuble cossu d'en face, lui masquant le bois tout proche, invisible et inaudible. Au dessus de cette mer urbaine, le ciel est si pâle, d'un blanc de lait crémeux malgré l'heure avancée et le soleil. 

Elle tourne dos au réchaud sur lequel son premier repas mijote. Pour étrenner le cadeau précieux que lui a fait sa marraine, un petit faitout en fonte orange avec un drôle de couvercle en creux pour faire retomber la vapeur d'eau à l'intérieur, elle a acheté du poisson frais et des crevettes.
Un petit luxe qu'elle s'offre et qu'elle ne pourra pas renouveler souvent. Le fumet commence à lui chatouiller les narines tandis qu'elle ferme les yeux pour rêver la vue au delà des toits.
Non, de ce côté, elle ne peut pas apercevoir Notre-Dame, pas même la Tour Eiffel qui doit être un peu plus à l'est. Juste le bois de Boulogne et le jardin d'acclimatation ...

Et déjà, les ondulations qui moutonnent, l'évocation d'arbres qu'elle devine si proches et habités de mille oiseaux ...
Elle voyage immobile dans sa chambre.
Elle marche d'un pas léger vers les cimes bleutées, mélange l'odeur du laurier et de la bruyère des sous-bois.
Comment sera son antre familière quand l'hiver installera ses frimas ? Le maigre radiateur de fonte, sous la fenêtre, ne la rassure guère, elle chasse ces questions et grimpe vers les hautes vallées que la neige a recouvertes. Elle en frissonne malgré la douceur de la pièce en ce début d'automne tiède.

 La pratique des huit étages de l'escalier de service, ouvert à tous les courants d'air, lui fera un bon entraînement. Combien d'employés de maison habitent encore dans ces pièces si humbles, dans cette banlieue qui étale ses façades altières ? Quel âge ont-ils pour gravir encore, bien au-delà de l'âge d'une trop maigre retraite,  ces marches taillées pour économiser l'espace et couper les jambes et le souffle ?
mon dernier entrainement au pastel sec,
à partir d'une photo

Combien de pièces inoccupées, transformés en greniers de fortune ?

Vraiment, les paysages n'arrivent plus à se superposer pour chasser le léger malaise qui lui serre la gorge. Que vient-elle faire dans cette galère, au sommet de cette montagne de pierre de taille et de briques ?