jeudi 3 octobre 2013

La chanson de Craonne, Anonyme, 1917

Quand les poilus regagnaient un monde sans fenêtres ...

Pour les jeudis en poésie des CROQUEURS DE MOTS, dans le cadre du Défi n°108 proposé par M'amzelle Jeanne (ce n'est pas moi), je profite de la fenêtre de tir ouverte par la parution d'un rapport officiel remis le 1er octobre 2013 dit "rapport sur les Fusillés pour l'exemple"4, 6 pour mettre en ligne le texte de la Chanson de Craonne, autrement connue sous les titres de La Chanson de Lorette ou Sur le plateau de Lorette5, ou encore Les Sacrifiés.

Chanson dont les auteurs nous sont inconnus et pour cause :
Vivement condamnée par les autorités militaires, elles offrirent une petite fortune à celui qui en dénoncerait l'auteur.

On doit à Paul Vaillant-Couturier3, avocat et journaliste puis homme politique, capitaine pendant la guerre de 1914-1918, d'en avoir recueilli les paroles telles qu'elles étaient devenues en 1917 après des transformations successives à partir d'une valse-romance de 1914.

Je l'ai redécouverte à l'occasion de mes muzardises sur les pas de Pia Colombo, grâce à une autre prodigieuse petite fenêtre qui ouvre grâce à Internet sur bien des ressources documentaires.
Car, oui, dans les années 1950, Pia colombo fut l'une des premières à inscrire cette chanson anti-militaristeà son répertoire alors qu'elle était tombée dans l'oubli. Malheureusement, je n'ai pas trouvé d'enregistrement avec la voix de Pia. Celle-ci (CLIC) est chantée par Marc Ogeret, un autre chanteur trop méconnu, et cela me convient tout à fait.


La chanson de Craonne1,2

Quand au bout d'huit jours, le r'pos terminé,
On va r'prendre les tranchées,
Notre place est si utile
Que sans nous on prend la pile.
Mais c'est bien fini, on en a assez,
Personn' ne veut plus marcher,
Et le cœur bien gros, comm' dans un sanglot
On dit adieu aux civ'lots.
Même sans tambour, même sans trompette,
On s'en va là haut en baissant la tête.

Refrain
Adieu la vie, adieu l'amour,
Adieu toutes les femmes.
C'est bien fini, c'est pour toujours,
De cette guerre infâme.
C'est à Craonne, sur le plateau,
Qu'on doit laisser sa peau
Car nous sommes tous condamnés
C'est nous les sacrifiés !

C'est malheureux d'voir sur les grands boul'vards
Tous ces gros qui font leur foire ;
Si pour eux la vie est rose,
Pour nous c'est pas la mêm' chose.
Au lieu de s'cacher, tous ces embusqués,
F'raient mieux d'monter aux tranchées
Pour défendr' leurs biens, car nous n'avons rien,
Nous autr's, les pauvr's purotins.
Tous les camarades sont enterrés là,
Pour défendr' les biens de ces messieurs-là.

au Refrain

Huit jours de tranchées, huit jours de souffrance,
Pourtant on a l'espérance
Que ce soir viendra la r'lève
Que nous attendons sans trêve.
Soudain, dans la nuit et dans le silence,
On voit quelqu'un qui s'avance,
C'est un officier de chasseurs à pied,
Qui vient pour nous remplacer.
Doucement dans l'ombre, sous la pluie qui tombe
Les petits chasseurs vont chercher leurs tombes.

Refrain
Ceux qu'ont l'pognon, ceux-là r'viendront,
Car c'est pour eux qu'on crève.
Mais c'est fini, car les trouffions
Vont tous se mettre en grève.
Ce s'ra votre tour, messieurs les gros,
De monter sur l'plateau,
Car si vous voulez la guerre,
Payez-la de votre peau !
Anonyme(s), 1917, sur la musique de Bonsoir M'amour 
(Adelmar ou Charles Sablon, le père de  Jean Sablon)
Paroles recueillies par Paul Vaillant-couturier publiées en 1919.

Pour aller plus loin :
1. La chanson de Craonne (article wikipedia)
2. La chanson de Craonne (sur le site Découvrez Mussy)
3. Paul Vaillant-Couturier (article wikipedia)
5. C'est au plateau de Lorette que se trouve le Cimetière militaire Notre-Dame de Lorette
Pour le centenaire de la première Guerre mondiale, un mémorial internationalsera édifié sur le plateau, à proximité de la nécropole.

6. Pour vous éviter les tentations d'écouter les avis partisans sur cette douloureuse et sensible question de l'Histoire, je vous invite vivement à prendre connaissance du rapport lui-même, il est en ligne et téléchargeable au format pdf. (je croyais avoir relevé le lien du site où je l'avais trouvé. Je vais le chercher)

Mieux qu'un monument aux Morts, cette statue commémore les soldats de la guerre 1914 - 1918,
dans le village de Champfleur dans la Sarthe

Et comme en écho, Le texte que ma inspiré l'image de la fenêtre de Mil et Une la semaine dernière :
  
Bonus ajouté vendredi 4 octobre grâce à la chronique  ce matin à la fin du 7 - 9 de France Inter 
C'est sans doute un hasard, mais j'en suis particulièrement émue :
(à écouter jusqu'à la fin)