pour le défi n°89 des CROQUEURS DE MOTS, proposé par Enriqueta "rendez-vous".
Voici des extraits de ce poème sublime pour ceux qui manquent trop de temps.
Mais je vous invite avec insistance à lire le poème en entier ICI
Un rendez-vous
Dans ce nid furtif où nous sommes,
Ô ma chère âme, seuls tous deux,
Qu'il est bon d'oublier les hommes,
Si près d'eux !
Pour ralentir l'heure fuyante,
Pour la goûter, il ne faut pas
Une félicité bruyante ;
Parlons bas.
Craignons de la hâter d'un geste,
D'un mot, d'un souffle seulement,
D'en perdre, tant elle est céleste,
Un moment.
Afin de la sentir bien nôtre,
Afin de la bien ménager,
Serrons-nous tout près l'un de l'autre
Sans bouger ;
Sans même lever la paupière :
Imitons le chaste repos
De ces vieux châtelains de pierre
Aux yeux clos,
Dont les corps sur les mausolées,
Immobiles et tout vêtus,
Loin de leurs âmes envolées
Se sont tus ;
[ ... ]
Hors de la sphère ensoleillée
Dont nous subîmes les rigueurs,
Quelle étrange et douce veillée
Font nos cœurs ?
Je ne sais plus quelle aventure
Nous a jadis éteint les yeux,
Depuis quand notre extase dure,
En quels cieux.
Les choses de la vie ancienne
Ont fui ma mémoire à jamais,
Mais du plus loin qu’il me souvienne
Je t’aimais ...
Par quel bienfaiteur fut dressée
Cette couche ? Et par quel hymen
Fut pour toujours ta main laissée
Dans ma main ?
Mais qu’importe ! ô mon amoureuse,
Dormons dans nos légers linceuls,
Pour l’éternité bienheureuse
Enfin seuls !
Sully Prudhomme, Les vaines tendresses, 1875
Sully Prudhomme, 1839 - 1907, premier prix Nobel de littérature en 1901