Tricôtine, depuis son lieu de villégiature convalescence, nous demande defaire le buzz sur la coquille et nous informe que le n°90 sera piloté par Suzâme et le n°91 par Jill Bill. Ensuite, les tours de quart sont à prendre ...La consigne en est la suivante :
"C'est un petit lieu qui ne paye pas de mine (un banc public, une ruelle, une place, un arrêt de bus, etc...), un endroit qui ne vaut pas le détour sauf pour vous. Décrivez ce lieu et racontez pourquoi il vous plaît (ou déplaît) autant..."
Dans ma grande générosité, ma plongée dans les souvenirs m'a fait évoquer non pas un lieu, mais deux. et même trois, vous allez comprendre pourquoi.
C'étaient deux rues ordinaires.
L'une, aux masures coïncées entre les immeubles début de siècle, aux façades grises, sans vitrines attrayantes, ballustrades et pigeons ramiers.
L'autre dont j'aimais, allez savoir pourquoi, l'ambiance déjà surranée. Avec l'activité tranquille des ateliers de ses impasses, son bougnat1 où se mêlaient, surtout l'hiver, les odeurs d'encre et de journal, de charbon et de jambon fumé, qui restait ouvert jusqu'à dix heures du soir, même le dimanche. Son salon de coiffure et les effluves de teinture et de shampoing, libérées, surtout l'été, par la porte grande ouverte.
Le choix de l'itinéraire était toujours difficile.
- Quelle station aujourd'hui ?
La côte et l'animation d'un village au travail ? avec en prime la correspondance à Etoile2 mais le spectacle du métro aérien sur Montmartre ?
Ou le désert de la rue dortoir puis le grouillement bruyant du boulevard, et le métro dans le ventre sombre de Paris. Sans compter les quelques deux cents mètres en plus. Ce qui n'était pas rien pour mes jambes de petite fille.
Ma marraine ne m'avait rien dit de ses problèmes cardiaques. Ou bien je l'imaginais sans doute avec candeur telle une bonne fée indestructible. Elle ne prenait pas un gros risque en me questionnant, surtout aux alentours de noël. Elle avait, en dépit de l'attrait du village, une alliée de choix pour éviter la rude montée de la rue Montlouis. Une odeur délicieuse qui me faisait choisir jusqu'au trottoir le plus proche derrière la fabrique. Et même quelquefois rallonger encore la route pour passer devant l'usine, rue Mercoeur.
Plus tard, ma marraine et mon parrain ne prirent plus jamais le métro à Charonne. Malgré la côte pour Philippe-Auguste. J'avais grandi et j'en ai compris les raisons (donnés sobrement, sans trop de détails alors).
Quelques années encore et la chocolaterie est allée s'installer loin de la capitale. Les rues de Belfort et sa parallèle majestueuse la rue Mercoeur sont devenues des rues banales, aux odeurs de ville, mélange de poussière et de circulation urbaine.
Dans la rue Montlouis aussi le bougnat a depuis longtemps fermé boutique et les ateliers de l'époque ont cédé la place à d'autres activités. Seul subsistait, du moins à ma dernière promenade, il y a déjà quelques années, le salon de coiffure, récemment climatisé, gardant pour lui ses vapeurs, et ne les laissant s'échapper qu'avec parcimonie lors de l'entrée ou de la sortie d'une cliente.
1 C'est ainsi qu'il se désignait lui-même.
le bougnat était un artisan commerçant auvergnat. Terme utilisé souvent de façon mi péjorative, mi ironique pour ces exilés de l'intérieur mal considéré, avant que d'autres immigrés prennent leur place de parias.
2 La station Etoile est devenue la station Charles de Gaulle en 1970, mais très vite on lui a accolé son ancien nom pour la nommer Charles de Gaulle Etoile