jeudi 6 novembre 2014

L'étoile du Petit Prince, Antoine de Saint Exupéry

pour le 2nd jeudi en poésie du défi n°133 des CROQUEURS DE MOTS animé par Harmonie  

- Ce qui est important, ça ne se voit pas ...
- Bien sûr ...
- C'est comme pour une fleur. Si tu aimes une fleur qui se trouve dans une étoile, c'est doux, la nuit, de regarder le ciel. toutes les étoiles sont fleuries
- C'est comme pour l'eau. Celle que tu m'as donnée à boire était comme une musique, à cause de la poulie et de la corde ... tu te rappelles ...
[ ... ]
- Tu regarderas, la nuit, toutes les étoiles.
Mon étoile, ça sera pour toi une des étoiles.Alors, toutes les étoiles, tu aimeras les regarder ... Elles seront toutes tes amies. Et puis je vais te faire un cadeau ...
Il rit encore.
- Ah ! petit bonhomme, petit bonhomme j'aime entendre ce rire !
- Justement ce sera mon cadeau ... ce sera comme pour l'eau ...
- Que veux-tu dire ?
- Les gens ont des étoiles qui ne sont pas toutes les mêmes. Pour les uns, qui voyagent, les étoiles sont des guides. Pour d'autres elles ne sont rien que de petites lumières. Pour d'autres qui sont savants elles sont des problèmes. Pour mon businessman elles étaient de l'or. Mais toutes ces étoiles-là se taisent. Toi, tu auras des étoiles comme personnes n'en a ...
- Que veux-tu dire ?
- Quand tu regarderas le ciel, la nuit, puisque j'habiterai dans l'une d'elles, alors ce sera pour toi comme si riaient toutes les étoiles. Tu auras, toi, des étoiles qui savent rire !
Et il rit encore.
- Et quand tu seras consolé (on se console toujours) tu seras content de m'avoir connu. Tu seras toujours mon ami. tu auras toujours envie de rire avec moi. Et tu ouvriras parfois la fenêtre, comme ça, pour le plaisir ... Et tes amis seront bien étonnés de te voir rire en regardant le ciel. Alors tu leur diras : "Oui, les étoiles, ça me fait toujours rire !"
[ ... ]
Cette nuit-là je ne le vis pas se mettre enroute. Il s'était évadé sans bruit. Quand je réussis à le rejoindre il marchait d'un pas décidé, d'un pas rapide. Il me dit seulement :
- Ah ! tu es là ...
Et il me prit la main. ...
- Tu as eu tort. Tu auras de la peine. J'aurai l'air d'être mort et ce ne sera pas vrai ...
Moi, je me taisais.
Tu comprends. C'est trop loin. Je ne peux pas emporter ce corps-là. C'est trop lourd.
Moi je me taisais.
- Mais ce sera comme une vieille écorce abandonnée. Ce n'est pas tristes les vieilles écorces ...
Moi je me taisais.
Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, 1943,
Gallimard réédition 1988, pages 86 à 90


et moi aussi je me tais.
Que dire quand les mots semblent dérisoires ...