Défi n°95 sous le signe du vent pour Lénaïg et les CROQUEURS DE MOTS. La semaine passée ce qui est petit était inouï. Cette semaine ce qui est grand est étonnant.
Aujourd'hui, le début du dernier poème des Fleurs du Mal de Charles Baudelaire1
Le voyage
A Maxime Du Camp2.
I
Pour l'enfant, amoureux de cartes et d'estampes,
L'univers est égal à son vaste appétit.
Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit !
Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
Le coeur gros de rancune et de désirs amers,
Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
Berçant notre infini sur le fini des mers :
Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme ;
D'autres, l'horreur de leurs berceaux, et quelques-uns,
Astrologues noyés dans les yeux d'une femme,
La Circé tyrannique aux dangereux parfums.
Pour n'être pas changés en bêtes, ils s'enivrent
D'espace et de lumière et de cieux embrasés ;
La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent,
Effacent lentement la marque des baisers.
Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir, coeurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s'écartent,
Et, sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !
Ceux-là dont les désirs ont la forme des nues,
Et qui rêvent, ainsi qu'un conscrit le canon,
De vastes voluptés, changeantes, inconnues,
Et dont l'esprit humain n'a jamais su le nom !
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1861
La mort, CXXVI Le voyage I
Le texte intégral de Le voyage sur wikisource
1.- Charles baudelaire, poète, 1821 - 1867
2.- Maxime Du Camp, écrivain et photographe, 1822 - 1894
Et si vous voulez vous attarder, bonus Chanson à grand vent (ce n'est pas loin du thème, non ?)