C'est ABC, du blog Détente en poésie, qui met les CROQUEURS DE MOTS deTricôtine au défi de décrire l'instant d'après.
Alors, c'est vrai, en relisant le brouillon de mon texte, je constate à quel point j'ai pris des libertés avec la consigne.
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Il avait fallu plusieurs longues années de soins pour épierrer et assainir le sol. Quelques années de patience encore, des plants aux fruits.
Chaque année ensuite, tout au long des jours, les pieds étaient choyés et les mystères du ciel scrutés entre angoisse et espoir selon ses turbulences.
Il avait fallu une semaine à cueillir les grappes prometteuses, à fouler à pieds nus les grains ronds énivrants, déjà.
D'autres gestes quasi rituels pendant le temps des cuves.
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Ici chez nous, loin de là-bas, le temps fébrile d'attente, entre le passage annuel du visiteur, devenu ami au fil d'une longue habitude, et l'arrivée des barriques commandées
Calmer encore l'impatience des petits et des grands avant la mise en bouteille.
Croiser les doigts pour qu'un temps frais et sec soit de la partie.
Ce jour-là était bien plus qu'une réunion de famille laborieuse ! Une cérémonie payenne joyeuse, emplie de rires autant qu'une ruche active.
Les bouteilles soigneusement lavées et séchées au soleil, miroitant sur leur if de ferraille.
La canelle bien étanche, emplir au goulot sans rien perdre du précieux nectar ; Laisser la juste distance entre liquide et base du bouchon. C'était l'affaire des plus grands !
Sans hésiter, d'un geste net et franc, enfoncer droit le bouchon de liège. Etape délicate et cruciale dont dépendait la qualité de la garde du vin. Corvée réservée aux plus adroits, que je me fis un point d'honneur d'égaler pour accomplir ce qui me semblait être un privilège, en dépit de mon jeune âge.
Badigeonner l'étiquette de colle à l'amidon, ne pas la coller de travers, ni trop haut, ni trop bas.
Enfin, délicatement poser la coiffe et la collerette d'étain.
Cadence soutenue et bien synchronisée, rythmée par des chansons.
Interrompue soudain par un juron quand un geste de la chaîne humaine défaillait, en rompant l'harmonie, bouchon de travers, giclée mousseuse entre goulot et canelle mal refermée ; ou trop tard, ...
Fou rires ...
Récompense de la collation et le droit, enfin, pour les grands, de goûter à la dernière bouteille, forcément incomplète. ... juste un doigt pour la petite ! (maman disait un dé à coudre)
Les oublier encore, plusieurs années souvent, dans le frais idéal du caveau bien conçu.
Rares les initiés au secret jaloux de son astucieuse serrure.
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C'est ce qui défile dans ma tête au jour de mes vingt ans, au moment précis où mon père, pour accompagner le dessert, une de ses tartes aux fruits de fin d'été, est fier de déboucher la dernière bouteille de Sainte Croix Du Mont millésimée de mon année de naissance.
(chut, qui pense que ce n'est pas tout à fait la dernière ? ... )
L'éternité des secondes pour l'épanouissement des arômes
pendant que je souffle les bougies,
partage et distribue le gâteau plein de promesse.
Le soulagement et le sourire sur la mine de papa à la première gorgée.
Le chant léger du vin versé dans les verres à pied ;
Oreillons vermillon sur la blonde pâte brisée ;
assiettes blanches à liseré doré arts déco tendues dans le même élan ;
triangles d'ocre et de roux subtils sur les fines porcelaines ;
transparence de l'ambre dans les verres élégants,
couronne dorée à l’œuf autour des abricots ridés
trocs des croûtes brunes si croustillantes contre des pulpes moelleuses,
tout autant savoureuses,
selon les goûts ou les bouches édentées.
Sucrettes oubliées pour un pas de côté.
Quelques minutes enfin de silence gourmand, lentement savouré.
L'instant d'après ... Verres vides et miettes orphelines ; fin d'une parenthèse ...
Jeanne Fadosi, mercredi 9 novembre 2011, pour le défi n°68 des CROQUEURS DE MOTS