vendredi 23 avril 2010

Défi n°27 : De l'autre côté du mur

ou plutôt mots de tête n°27

~ Billet 409 ~

C'est le billet de Brunô qui a emporté ma décision de parler de ce mur-là.
Car j'ai longé sa route pas plus tard que l'autre dimanche, et de constater ce qu'il est devenu m'a donné le bourdon, pour ajouter à la nostalgie de ce  détour vers mes souvenirs.

Comme le point d'orgue de la fin d'un monde.
C'était juste avant l'ère d'un ciel sans avions, sans zébrures, sans mur du son ... Un signe peut-être ou simplement l'effacement d'un passé qui n'a plus cours.

Je l'ai longé tant de fois dans les petits matins brumeux d'automne, dans la nuit s'attardant d'un hiver givré, dans l'aurore emperlée des printemps s'ébrouant, jusqu'en la lumière crue des promesses d'été.
Ce mur si long, si haut, si fier sans lourdeur, rapiécé dès qu'une brèche se formait, reconstruit avec cet art qui ne laissait pas remarquer les reprises fraîchement raccommodées.
Le mur de château de C. était une étape sur cette route familière qui m'emmenait semaine après semaine vers les jours studieux et les grands dortoirs de la nuit, mais qui me ramenait aussi vers la maison familiale pour de courtes fin de semaines, les cours finissaient le samedi après-midi, une heure plus tôt. Les dimanches étaient le plus souvent studieux égayés des visites des neveux et de leurs parents. L'été, le mur signalait que nous approchions de l'étang où les plus jeunes s'amuseraient à la baignade ainsi que quelques adultes téméraires car même sous le soleil, le fond de l'air restait frais.
L'autre côté du mur ? Pour être franche, je ne me souciais guère qu'il y ait eu des habitants. Il y avait bien un ou deux châteaux par village mais il était bien rare que les enfants de châtelains fréquentent l'école communale et je ne pouvais imaginer que derrière, cette clôture silencieuse, à la grille toujours fermée, aux grands arbres immobiles s'élançant vers le ciel, des êtres humains en chair et en os. Pour moi, c'était hors champ. Mais je pensais, non, je savais, que tout un peuple d'animaux y vivaient protégés des voitures de la route. J'aurais cependant aimé admirer l'architecture du château. Il était forcément beau.
Les contes se terminaient par "ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants" et ne faisaient même pas rêver la petite dernière que j'étais, plus souvent désignée, - j'étais sage et raisonnable (Hmmm, voire ...) -, comme la grande de référence parmi les petits de mes frères et sœurs aînés, déjà parents. Le premier conte dont on m'avait raconté l'histoire et que j'avais sans doute réinventée en feuilletant les pages illustrées, Narcisse et Farfouillet, m'avait d'ailleurs très tôt mis en garde contre les vanités des mondes de luxe et de paillettes.
Et pourtant, ces demeures élégantes étaient dans ce siècle d'industrie et de services, de plus en plus coûteux à entretenir voir à sauver de la ruine.

Alors quand l'autre dimanche, j'ai vu les quelques pierres qui restaient ça et là au pied de haies désordonnées et toutes embroussaillées, ma tête essayait d'imaginer ce que pouvait être devenu ce château jamais aperçu. Les broussailles laissaient voir les sous-bois touffus qui avaient colonisés le sol sous la futaie à peine encore débarrassée de quelques troncs de guingois, reliques de la tempête du millénaire.
Le mur avait disparu comme le monde d'ancien régime dont au cours de mon enfance il avait témoigné de la survivance et le long de la route, bizarrement, il me manquait. 

Ceci est ma petite contribution aux Mots de tête n°27 des Croqueurs de mots

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire