Et toujours dans le sillage du défi n°128, sur le registre des sentiments, je m'interroge souvent sur la honte. Pourquoi certains, dont je suis, avons honte de ce que d'autres font sans une once de honte.
Pour les jeudis en poésie, prévu le 23/02/2011 à 15:04 et archivé en brouillon dans la catégorie poésie
Un pauvre honteux
Il l'a tirée
De sa poche percée,
Il l'a mise sous ses yeux ;
Il l'a bien regardée
En disant : "Malheureux !"
Il l'a soufflée
De sa bouche humectée ;
Il avait presque peur
D'une horrible pensée
Qui vient le prendre au coeur.
Il l'a mouillée
D'une larme gelée
Qui fondit au hasard ;
Sa chambre était trouée
Encor plus qu'un bazar.
Il l'a frottée,
Ne l'a pas réchauffée,
A peine il la sentait :
Car, par le froid pincée
Elle se retirait.
Il l'a pesée
Comme on pèse une idée,
En l'appuyant sur l'air.
Puis il l'a mesurée
Avec des fils de fer.
Il l'a touchée
De sa lèvre ridée,
D'un frénétique effroi
Elle s'est écriée :
Adieu, embrasse-moi !
Il l'a baisée.
Et après l'a croisée
Sur l'horloge du corps
Qui rendait, mal montée,
De mats et lourds accords.
Il l'a palpée
D'une main décidée
A la faire mourir.
- Oui, c'est une bouchée
Dont on peut se nourrir.
Il l'a pliée,
Il l'a cassée,
Il l'a placée,
Il l'a coupée,
Il l'a lavée,
Il l'a portée,
Il l'a grillée,
Il l'a mangée.
- Quand il n'était pas grand, on lui avait dit :
- Si tu as faim, mange une de tes mains.
Xavier Forneret
Xavier Forneret, 1809 - 1884, Un pauvre honteux, poème du recueil Vapeurs, ni vers, ni prose, 1838
Pablo Picasso, Le repas de l'aveugle, 1903 |