C'est lénaig qui de sa barre sur une mer d'huile, de quart nocturne sans aucun doute, nous a posé cette question aux vagues de lune et aux CROQUEURS DE MOTS :
Franchement Lenaig, si vraiment la nuit nous portait conseil, est-ce que nous voguerions tous, petits moussaillons et matelôts aguerris, sans pied marin ou vieux loups de mer, jusqu'à pas d'heure, sur cette toile, au gré de nos déraisons ?
Elle s'est couchée tard, ce soir-là. Toujours à finir un texte ou à ramer pour mettre en ligne une photo à l'heure où le trafic s'embouteille. Elle a réussi l'exploit de se hâter de faire ces petits gestes du coucher, sortir les chiens ... dans le jardin, rassurez-vous ; troquer les habits de jour contre le costume de la nuit, se rafraîchir le visage, se laver les dents ... ;
Mais se hâter lentement, le plus doucement possible, pour ne pas bousculer cet engourdissement progressif, prélude à la plongée dans l'inconnu de la nuit.
Le mieux, elle le sait bien, est d'anticiper sur ce moment où la porte du sommeil s'entrouvre sur la promesse d'un repos salutaire. Mais l'anticipation, ce n'est pas son fort. Souvent, elle manque ces instants précieux dans la concentration de son présent.
Elle se retrouve éveillée, en pleine lucidité. Aucun signe de restes de sommeil. D'habitude, ces réveils se font dans un entre-deux confus, plein d'apesanteur. Se lever ? Elle sent son corps en conformité avec cette action, bien plus que, trop souvent, à cette heure plus tardive où les premiers instants de la radio la font émerger par paliers dans la réalité sensible. Seulement voilà, tout autour d'elle lui murmure que c'est encore la nuit. Le silence, occupé des bruits de la nuit, la lente respiration des animaux de la maison, de l'autre côté de la cloison, le coq de la ferme voisine lui-même, qui souvent jette son premier appel vers trois heures du matin ...
Un regard au radio-réveil ... Il est bien trois heures. Alors quoi ? Pourquoi cette pleine forme inutile ?
Inutile ? ...
Maintenant qu'elle sait, elle sent la léthargie l'engourdir à nouveau.
Vite, la robe de chambre, allumer la lumière du palier,
- chut les chiens tout doux, ce n'est pas l'heure ...
Faire le tour de la cuisine, de la salle de bains, de la salle même, enfiler le manteau.
La rue aussi est vide. Les roues sautillent sur les graviers, son ténu et pourtant si clair et retentissant dans le silence.
Deux abois d'un chien du voisinage, vite réprimés à son chut. Rassuré sans doute d'entendre une voix familière.
La rue est claire aussi. Elle lève les yeux et salue la lune, ronde et débonnaire.
Maintenant elle peut retourner dans la tiédeur de ses draps et attendre doucement l'instant où elle pourra glisser encore dans le sommeil pour quelques heures :
Elle avait juste oublié de sortir les poubelles pour le ramassage hebdomadaire !