jeudi 28 février 2013

Batterie, de Jean Cocteau

Envie de soleil, c'est le thème du 1er jeudi en poésie suggéré par Francine pour le Défi n°97 des CROQUEURS DE MOTS à qui Tricôtine a confié la barre pour la quinzaine.

C'est la première idée qui m'est venue et je n'hésite pas à partager cet hymne si enthousiaste de Cocteau avec vous.

Batterie

Soleil, je t'adore comme les sauvages,
à plat ventre sur le rivage.

Soleil, tu vernis tes chromos,
tes paniers de fruits, tes animaux.

Fais-moi le corps tanné,salé ;
fais ma grande douleur s'en aller.

Le nègre, dont brille les dents,
est noir dehors, rose dedans.

Moi, je suis noir dedans et rose
dehors, fais la métamorphose.

Change-moi d'odeur, de couleur,
comme tu as changé Hyacinthe en fleur.

Fais braire la cigale en haut du pin,
fais-moi sentir le four à pain.

L'arbre à midi rempli de nuit
la répand le soir à côté de lui.

Fais-moi répandre mes mauvais rêves,
soleil, boa d'Adam et d'Eve.

Fais-moi un peu m'habituer,
à ce que mon ami Jean soit tué.

Loterie, étage tes lots
de vases, de boules, de couteaux.

Tu déballe ta pacotille
sur les fauves, sur les Antilles.

Chez nous, sors ce que tu as de mieux,
pour ne pas abîmer nos yeux.

Baraque de la Goulue, manège
en velours, en miroirs, en arpèges.

Arrache mon mal, tire fort,
charlatan au carrosse d'or.

Que j'ai chaud ! C'est qu'il est midi.
Je ne sais plus ce que je dis.

Je n'ai plus mon ombre autour de moi
soleil ! ménagerie des mois.

Soleil, Buffalo bill, Barnum,
tu grises mieux que l'opium.

Tu es un clown, un toréador,
tu as des chaînes de montre en or.

Tu es un nègre bleu qui boxe
les équateurs, les équinoxes.

Soleil, je supporte tes coups ;
tes gros coups de poing sur mon cou.

C'est encore toi que je préfère,
soleil, délicieux enfer. 
Jean Cocteau, 1889 - 1963
Poésies,


En 1919, le compositeur Millhaud l'a mis en musique pour en faire une chanson, mais, sans doute insatisfait de sa composition, il a détruit la partition et n'en a gardé aucun brouillon. J'aurais souhaité en connaître la date de première édition.

Mais, en consolation,  ma recherche m'a conduit à  la découverte du site éternels éclairs, du poète Stephen Moysan et je m'y suis attardée.