mercredi 10 août 2011

Vasile

~ ré-édition du Billet 405 publié le mercredi 21 avril 2010 pour la récréa-bigornette reprise ensuite par Jill Bill ~
Et pour rester dans l'esprit des voyages du défi n°61 des CROQUEURS DE MOTS. 

Pour la guinguette des prénoms du mercredi, à la Récréa-Bigornette,  j'évoquerai un vrai Basile, enfin pas tout à fait, puisqu'en roumain, le prénom prend un V et le s une cédille, comme ça : Vaşile.

Je vous en ai déjà parlé ICI. Il devait être près de minuit et nous désespérions de trouver un endroit sûr à défaut de confortable pour dormir, même le ventre creux depuis le petit déjeuner au camping de notre précédente étape. Cela faisait des heures et des kilomètres que nous avions cherché en vain le camping repéré pour l'étape de cette nuit. Le poste de police nous avait envoyé dans un lieu si glauque que nous avions vite décampé, au sens strict et nous nous retrouvions l'angoisse au cœur dans une nuit peuplée d'un peuple que le jour cachait soigneusement aux rares touristes qui s'aventuraient hors circuits officiels et voyages organisés de l'autre côté du rideau de fer.
Les jalons, les images d'Epinal du socialisme triomphant savaient à merveille cacher la poussière sous le tapis*.
Le terrible tremblement de terre du début mars 1977 laissait encore ses plaies béantes et tous les estropiés ne pouvaient pas être escamotés. La plupart des ruines disparaissaient pourtant derrière des palissades de fortune. Mais ici, c'était des pans entiers de routes et de ponts qui avaient dévissé le long des pentes et "notre" camping avait été englouti sous le lit de la rivière déroutée au gré des modifications du relief.

Dans notre angoisse, nous avions aperçu de la lumière à la boutique du village. Le gérant et sa collègue terminaient la mise en place du lendemain avant de rentrer chez eux. Nous avions suivi la lumière comme un phare dans la nuit et leur accueil avait été si chaleureux. Il n'y avait ni hôtel, ni foyer d'accueil, encore moins de camping à des heures de route et l'hospitalité nous a été spontanément proposée, hospitalité que nous avons décliné en leur apprenant qu'ils n'avaient pas le droit d'accueillir d'étrangers chez eux et que la sanction de l'infraction était un déplacement dans une autre province et une amende équivalant à une année de leur salaire.
Le verre d'alcool de prune obligatoire avait généreusement arrosé les plantes vertes, mais une ou deux gorgées à jeun avaient sans doute suffi à altérer notre sens du raisonnable. 
Avec le recul et tout ce que j'ai appris de pire que je ne savais déjà à l'époque, nous aurions sans nul doute continué à décliner cette offre si généreuse et si tentante dans notre épuisment et notre désarroi.
Près de trente cinq ans après les avoir si inconsciemment et égoïstement mis en danger, j'en ai encore des remords.
Nous avons fini par accepter l'hospitalité qui nous était présentée comme un devoir sacré au dessus des lois et qui nous sauvait des dangers réels de la nuit et de ses maraudeurs impitoyables.
Vasile, le gérant célibataire, logeait dans un foyer collectif mais sa collaboratrice, mère de famille, habitait une petite maison traditionnelle. Ils nous ont nourri avec leur repas préparé pour le lendemain et nous ont laissé leur chambre à coucher en se serrant dans celle de leurs enfants.
A la fin de nos vacances, en repassant par ce village, la maison de nos sauveurs était complètement fermée. Avaient-ils fait valoir que nous n'avions pas d'autre solution ou ont-ils été dénoncés par des voisins et déportés loin de chez eux ?
J'ai su ensuite par un courrier de Vasile qu'ils étaient simplement partis en vacances sur la mer noire, comme ils le faisaient chaque année à cette époque, et qu'ils allaient bien.
J'ai revu Vasile quelques heures, deux ans après. Nous nous étions donnés rendez-vous pour l'emmener avec nous à un festival international de danses traditionnelles dans les montagnes frontalières de l'URSS. Une parenthèse enchantée dans son quotidien besogneux.
Il a vieilli, a sans doute fondé une famille comme je l'ai fait quelque temps après.
Son mal être était visible et me serrait le cœur. Qui pouvais-je ? Qu'est-il devenu dans ce monde nouveau qui a bousculé tous les repères et laissé sans ressources tous les baladins qui étaient la vitrine folklorique du pouvoir ? La Roumanie d'aujourd'hui ne ressemble sans doute plus guère à celle que je découvrais naïvement dans mes années de jeune adulte.
Mais cette main tendue, cet accueil chaleureux après des heures de fatigue, de faim puis de peur restent gravés dans mon souvenir.

intérieur en pliages et découpes d'une carte de vœux reçue de Vasile pour l'année 1978.

* J'avais manqué le thème des tapis et carpettes du casse-tête de la semaine, mais en cherchant une illustration pour ce billet, la première page de la carte de Vasile me donnait l'occasion d'une séance de rattrapage. (A voir au billet 406).

La liste des prénoms chez Jill Bill (Jill Bill nous a déjà concocté une liste de prénoms pour l'automne)
Avec un salut amical spécial à  Bigornette , 
Présidente d'honneur de La cour de récré de JB

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