jeudi 29 juillet 2010

La lune selon Victor Hugo (IV)

Pour le Jeudi en poésie sous la baguette magique de Nat.
Les Croqueurs de mots ont fait des vœux aux astres, sans les nommer, c'était la règle du jeu de mots qui se nomme liponymie

Beaucoup d'amateurs de poésie connaissent la lune selon Alfred de Musset.
Comme je me suis replongée, (avec délices) dans l'Art d'être grand-père, de Victor Hugo, je vous propose celle que le poète a bien voulu décrocher pour ses petits enfants.
Le titre se décline en quatres poèmes que je mets en ligne. Vous pouvez en lire un ou les quatre, à votre choix. Et si vous les lisez tous les quatre, peut-être sera-t-il judicieux de les relire dans l'ordre que Victor Hugo leur a donné.

Si vous voulez commencer par le début
Le début est ICI

IV

- Oh ! comme ils sont goulus ! dit la mère parfois.
Il faut leur donner tout, les cerises des bois,
Les pommes du verger, les gâteaux de la table ;
S'ils entendent la voix des vaches dans l'étable
Du lait ! vite ! et leurs cris sont comme une forêt
De Bondy quand un sac de bonbons apparaît.
Les voilà maintenant qui réclament la lun !

Pourquoi pas ? Le néant des géants m'importune ;
Moi j'admire, ébloui, la grandeur des petits.
Ah ! l'âme des enfants a de forts appétits,
Certe et je suis pensif devant cette gourmande
Qui voit un univers dans l'ombre, et le demande.
La lune ! Pourquoi pas ? vous-dis-je. eh bien, après ?
Pardieu ! si je l'avais, je la leur donnerais.

C'est vrai, sans trop savoir ce qu'ils pourraient en faire,
Oui, je leur donnerais, lune, ta sombre sphère,
Ton ciel, d'où Swedenborg n'est jamais revenu,
Ton énigme, ton puits sans fond, ton inconnu !
Oui, je leur donnerais, en disant : Soyez sages !
Ton masque obscur qui fait le guet dans les nuages,
Tes cratères tordus par de noirs aquilons,
Tes solitudes d'ombre et d'oubli, tes vallons,
Peut-être heureux, peut-être affreux, édens ou bagnes,
Lune, et la vision de tes pâles montagnes.
Oui, je crois qu'après tout, des enfants à genoux
Sauraient mieux se servir de la lune que nous ;
Ils y mettraient leurs voeux, leur espoir, leur prière ;
Ils laisseraient mener par cette aventurière
Leurs petits coeurs pensifs vers le grand Dieu profond.

La nuit, quand l'enfant dort, quand ses rêves s'en vont,
Certes, ils vont plus loin et plus haut que les nôtres.
Je crois aux enfants comme on croyait aux apôtres ;
Et quand je vois ces chers petits êtres sans fiel
Et sans peur, désirer quelque chose du ciel,
Je le leur donnerais, si je l'avais. La sphère
Que l'enfant veut, doit être à lui, s'il la préfère.
D'ailluers, n'avez-vous rien au-delà de vos droits ?
Oh ! je voudrais bien voir, par exemple, les rois
S'étonner que des nains puissent avoir un monde !
Oui, je vous donnerais, anges à tête blonde,
Si je pouvais, à vous qui régnez par l'amour,
Ces univers baignés d'un mystérieux jour,
Conduits par des esprits que l'ombre a pour ministres,
Et l'énorme rondeur des planètes sinistres.
Pourquoi pas ?Je me fie à vous car je vous vois,
Et jamais vous n'avez fait de mal.Oui, parfois,
En songant à quel point c'est grand, l'âme innocente,
Quand ma pensée au fond de l'infini s'absente,
Je me dis, dans l'extase et dans l'effroi sacré,
que peut-être, là-haut, il est, dans l'Ignoré,
un dieu supérieur aux dieu dont nous rêvâmes,
Capable de donner des astres à des âmes.
Victor Hugo, L'art d'être grand-père, première édition 1876