jeudi 5 novembre 2009

Défi n°10 : Retour d'un grand frère

Pour les Croqueurs de mots, voici dix mots pour les Mots de tête n°10 de Brunô.
Utiliser dans cet ordre dans un texte dont la forme et le sujet sont libres :
valise, bleu, travailler, pensées, train, éclatante, écrire, rêve, voyage, équivoque.



1ère mise en ligne du billet 245 le 05/11/2009 17h30,
republié le 22 juillet 2014 en écho à l'émission de France Inter de ce jour, Le Grand Bain : 



La toute petite fille descend prudemment l'escalier. Elle est encore toute ensommeillée. L'effervescence inhabituelle l'a tirée de son lit bien avant l'heure habituelle. Pas de valise en bagage, trop incommode, mais un gros sac polochon avachi sur la première marche.
Il est là, dans le contre-jour de l'entrée, dans son costume bleu de marin, plus vrai que sur les photos, ce grand frère qu'elle ne connaît pas, qui ne la connaît pas.
Il est parti travailler loin au-delà des mers, si longtemps. C'est une lettre qui lui a appris sa naissance.
Il ne la connait que sur ces papiers glacés sépia, et elle ignore à quel point elle a occupé ses pensées, à quel point elle l'a aidé à tenir.
Le bateau l'a ramené au port. Il a pris le premier train. Il savait que son père l'attendrait à la gare.
Il était là sur le quai quand la micheline s'avançait sur les rails, éclatante mais silencieuse dans son habit d'émail et de chrome jaune et rouge, presque aussi fière encore que le jour de sa sortie d'usine.
Ils avaient enfin réussi à s'écrire. Leur correspondance avait permis au fils de renouer prudemment un lien bien malmené avant son départ. Les lettres envoyées au fils avaient permis au père, par la médiation de la distance et du temps, de faire connaissance avec lui-même autant sinon plus qu'avec ce fils, devenu loin de lui cet adulte dans la lumière du matin.
La toute petite fille ne sait rien de l'épreuve dont ils sortent tous deux grandis. Rien ne pourrait être comme avant. Rien ne serait dit. Elle observe cet inconnu qui lui est si familier, qui lui sourit en lui tendant la bécassine en mousse qu'elle a imaginé en rêve et qu'il ramène de son voyage tout exprès pour elle. Elle ne sait pas le sacrifice financier qu'il a dû faire pour cette acquisition. Le visage émerveillé de l'enfant malgré sa retenue compréhensible vaut déjà tout ce qu'il ne pourra pas acheter.
Est-ce seulement la poupée, où est-ce de lire la joie qui éclaire sa mère, son père, et ce grand frère surgi de nulle part ?
Entre le père et le fils, l'écriture a comblé la distance et l'absence, sans plus d'équivoque. Ils savent qu'un temps est celui d'avant, qui ne saurait être changé. Mais ils savent que la vie est devant eux, encore à construire.

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